Saint Donatien et saint Rogatien sont emblématiques pour la ville de Nantes. Appartenant à la bonne société de ce qui était alors Portus Namnetus, ils furent deux des premiers chrétiens de la ville, et leur martyr leur a permis de témoigner de la nouvelle foi et, à ce titre, de figurer comme héros fondateurs de la ville, qui les désigne familièrement sous le nom des Enfants Nantais. L'héroïsme des deux frères, qui peuvent être assimilés à des jumeaux, fut égal. Il est toutefois curieux de constater que, si Donatien était un chrétien régulièrement baptisé, Rogatien ne reçut pas le baptême si ce n'est par le sang qu'il versa aux côtés de son frère. Ils représentent ainsi deux formes complémentaires d'engagement. Ils sont associés à la navigation commerciale, activité fondatrice pour Nantes. Mais ils renvoient également, comme l'a mis en évidence Jean Paul Lelu, à des thèmes légendaires qui remontent bien au-delà du christianisme.
Rogatien retrouve Donatien en prison
Une Passion des Enfants Nantais a été composée au Vème siècle, un siècle après le martyr des deux saints. C'est elle qui sert de base à tous les ouvrages postérieurs, dont :
- Acta Sanctorum tome V, 24 mai.
- Dom Guy-Alexis LOBINEAU, Les Vies des saints de Bretagne et des personnes d'un éminent mérite, Paris, chez Mesvignon Junior, 1836-1837.
- H. LECLERCQ, Les Martyrs, Paris, 1902
- A. DELANOUE, Saint Donatien et saint Rogatien de Nantes, 1904.
- Chanoine RUSSON, La Passion des Enfants Nantais, 1945.
- Jean Paul LELU, Les Jumeaux dans la mythologie nantaise, Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 114.
- Bernard ROBREAU, Notre calendrier des saints, Bulletin de la Société de Mythologie Française n° 218.
Débuts du christianisme dans l'Ouest de la France.
- Frères jumeaux sur le plan symbolique, même si les biographes présentent parfois l'un ou l'autre (a priori Donatien) en tant qu'aîné.
- Saints martyrs.
La bannière des saints Donatien et Rogatien, dans la basilique
Les Enfants Nantais.
- Les Dioscures, Remus et Romulus.
- Saints jumeaux : Gervais et Protais, Médard et Godard, Côme et Damien, Derrien et Neventer ...
- 24 mai, dans le signe des Gémeaux.
- 21 octobre : translation des reliques.
- Une procession se déroulait le 4ème dimanche après Pâques.
On peut rapprocher les noms des deux saints des verbes latins donare, "donner, faire l'aumône", et rogare, "prier, demander".
Nantes à la fin du IIIème siècle. Donatien aurait été baptisé par saint Similien.
Nantes, le 24 mai 302, 303 ou 304 (ou bien vers 288), suppliciés sous l'empire de Dioclétien et Maximien. Leurs corps sont d'abord livrés aux oiseaux et aux bêtes sauvages, puis recueillis par des fidèles et enterrés sur place.
Saint Donatien et saint Donatien, basilique Saint-Donatien-Saint-Rogatien (Nantes)
- Fils d'un notable armoricain.
- Ils auraient eu une soeur.
- Les ducs de Bretagne revendiquèrent la même ascendance, ainsi que la famille nantaise des Sesmaisons.
- Héros fondateurs, saints tutélaires de la ville de Nantes et patrons du diocèse.
- Protecteurs des mariniers, en rapport avec les activités commerciales.
- Deux jeunes adolescents, éventuellement enlacés ou unis par le fraternel baiser que Donatien donne à son frère.
- Palmes et robes blanches des martyrs, ou bien (tardivement) tunique gallo-romaine ou costume des soldats romains.
- Une lance au travers de la gorge évoquant leur supplice.
- L'un (le plus souvent Donatien) est associé à la couleur blanche (et au lys), l'autre (Rogatien, baptisé dans le sang du martyr) à la couleur rouge (et à la rose).
Saint Donatien et saint Rogatien, les Enfants Nantais, sont les premiers témoins de l'implantation du christianisme dans l'Ouest de la France. Et, au-delà de leur martyr fondateur, ils sont remarquables par leur complémentarité : l'un était baptisé, l'autre ne l'était pas, ce qui ne les a pas empêchés tous deux d'entrer au royaume de Dieu. Pour Rogatien, note la Passion, "le sang remplaça l'eau sainte". Et cette distinction se manifeste dans une nuance de couleur dans leur vêtement : le blanc pour l'un, le rouge pour l'autre.
Les deux croix qui commémorent la mort des saints Donatien et Rogatien, à Nantes
La maison des Enfants Nantais, à Nantes
stsdonatienrogatien_topo.swf Mars Mullo
En ce cas comme en bien d'autres, la tradition mythique recoupe la réalité historique.
Dans les faits, Donatien et Rogatien étaient frères. Donatien est habituellement présenté comme l'ainé, le premier à être converti et baptisé. Et Rogatien suit son exemple. Mais ils entrent dans une logique de similitude et de complémentarité qui les désigne plutôt comme des jumeaux. Ce que confirme le fait qu'ils sont célébrés le 24 mai, sous le signe des Gémeaux. La figure des jumeaux est en soi porteuse de la notion de l'échange, fondement du commerce. Jean Paul Lelu rappelle à ce propos la notation de Marcel Griaule à propos de l'origine du commerce chez les Dogons : "Les jumeaux sont de même valeur ; ils sont la même chose ; l'homme qui vend, l'homme qui achète, tous deux sont aussi la même chose ; ils sont deux jumeaux." Et l'on comprend facilement, dans cette perspective, le sens caché de leurs noms : donare, donner et rogare, prier, demander. Autrement dit l'offre et la demande, les deux actions complémentaires qui gèrent les échanges commerciaux. Ce n'est donc pas par hasard qu'ils sont devenus les saints patrons des mariniers et de la ville de Nantes, qui s'est toujours définie comme port de commerce.
L'on peut aussi raisonnablement se demander dans quelle mesure ces héros chrétiens - les premiers célébrés en ces lieux - ne s'y sont pas substitué à un ancien culte des Dioscures. Ce serait d'autant plus vraisemblable que le géographe grec Timée notait dès le IIIème siècle av. J.-C. : "Les Celtes riverains de l'Océan ont une vénération toute particulière pour les Dioscures : selon une tradition chez eux très ancienne, ces dieux arrivèrent par l'Océan et il y a sur le littoral océanique bon nombre de désignations locales venant des Argonautes et des Dioscures." S'agissait-il pour autant des Dioscures helléniques ? Sans doute pas. Il faut plutôt voir là des personnages relevant de la mythologie locale, dont le nom s'est perdu et que Timée a ainsi identifiés. Des jumeaux fondateurs comme le sont à Rome Remus et Romulus, et comme on en trouve à l'origine de bien des civilisations. Les Gaulois eux-mêmes évoquent pour la fondation de Lugdunum (Lyon) Momoros et Atepomaros, et pour celle de Milan Bellovèse, frère jumeau de Segovèse.